
Le Forum économique Turquie-Afrique, qui s’est tenu les 16 et 17 octobre 2025 à Istanbul, a marqué un tournant important dans les relations entre le Tchad et la Turquie. Ce rendez-vous régional, qui a réuni ministres, investisseurs et diplomates, s’est inscrit dans une dynamique de coopération bilatérale renforcée entre Ankara et N’Djamena.
Au cœur de ces échanges figuraient la présentation du Plan National de Développement “Tchad‑Connexion 2030”, des projets d’infrastructures logistiques ambitieux, une volonté partagée d’innovation dans les domaines de la sécurité, de la santé et des transports, et surtout, une stratégie commune pour positionner le Tchad comme un hub régional et géopolitique majeur en Afrique centrale.
Une vision nationale ambitieuse : “Tchad‑Connexion 2030”
À la veille du forum, lors d’un dîner organisé par l’association patronale turque ‘’MÜSIAD’’, l’ambassadeur du Tchad en Turquie, SEM Adoum Dangaï Nokour Guet, a exposé la stratégie nationale du Tchad à travers le Plan “Tchad-Connexion 2030”. Il a appelé les entrepreneurs turcs à participer activement à la conférence de lancement qui se tiendra à Abou Dhabi les 10 et 11 novembre 2025.
Ce plan reflète la volonté du Tchad de s’ouvrir à de nouveaux partenariats, de diversifier son économie et de tirer profit de son positionnement au carrefour des régions du Sahel, du bassin du Congo et de la Corne de l’Afrique. Sous la direction du Président Mahamat Idriss Déby Itno, le pays se projette dans une ère de transformation économique, sociale et technologique.
Un hub logistique régional à N’Djamena : l’ambition prend forme
Parmi les projets phares de cette coopération figure la transformation de l’aéroport international Hassan Djamous en centre régional de fret aérien, en partenariat avec la compagnie Turkish Airlines. Annoncé dans la presse spécialisée en juin 2025, ce projet vise à faire de N’Djamena une plateforme logistique capable de connecter l’Afrique centrale aux grands marchés du continent et au Moyen-Orient.
Ce projet s’inscrit dans une stratégie de repositionnement géoéconomique du Tchad : il ne s’agit plus seulement de transporter des biens, mais de capter et de redistribuer les flux commerciaux régionaux, tout en stimulant la création d’emplois et le développement des zones industrielles.
Développement ferroviaire : relier le Tchad aux ports africains
Le projet logistique ne se limite pas à l’aérien. En parallèle, lors du Forum mondial sur la connectivité des transports, la ministre tchadienne des Transports, Fatimé Goukouni Weddeye, a tenu des discussions décisives avec la société publique turque ‘’TÜRASAS’’, spécialisée dans les technologies ferroviaires.
Les discussions ont porté sur la création de corridors ferroviaires connectés à la mer, un chantier stratégique dans le cadre du programme “Connexion 2030”. En reliant N’Djamena à des ports régionaux, le Tchad pourra réduire sa dépendance aux voies routières risquées, désenclaver les régions rurales, et encourager le commerce interafricain.
Santé : vers un transfert de compétences médicales
Recemment, le ministre tchadien de la Santé, Dr Abdelmadjid Abderahim, a reçu une délégation du groupe hospitalier turc ‘’Memorial’’, dirigée par son directeur marketing Hacim Carikli. Cette rencontre a permis d’explorer les possibilités de coopération dans le secteur de la santé, notamment dans des spécialités comme la chirurgie, la cardiologie, l’orthopédie, la greffe d’organes et l’ophtalmologie. Le groupe turc a également proposé une assistance en gestion hospitalière.
Le ministre a exprimé son souhait de renforcer les compétences du personnel médical tchadien et a encouragé la poursuite des discussions avec les techniciens du ministère et les hôpitaux universitaires de N’Djamena afin de définir les modalités d’un partenariat durable et efficace.
Cybersécurité : une priorité commune face aux menaces numériques
Le 19 septembre 2025, 22 officiers tchadiens ont été diplômés après une formation en cybersécurité et en gestion des sources ouvertes, dispensée grâce au soutien de l’agence turque ‘’TİKA’’. Le ministre de la Sécurité publique, le général Ali Ahmat Akhabache, a souligné lors de la cérémonie l’importance de ce type d’initiatives pour faire face aux menaces cybernétiques croissantes dans la région.
Cet investissement dans le cyberespace témoigne d’un changement d’approche : la sécurité nationale ne se limite plus au champ militaire, mais s’étend désormais au numérique, aux données, et à la résilience des institutions.
Défense et souveraineté : les drones turcs au service de la sécurité tchadienne
L’un des développements les plus stratégiques est l’entrée en service de drones armés turcs ‘’Bayraktar TB2’’ dans les régions du nord et de l’est du Tchad. Après le retrait de la France, la base militaire d’Abéché a été transférée sous le contrôle des forces turques, conformément à un accord de partenariat conclu avec le gouvernement tchadien. Ce partenariat prévoit des missions de reconnaissance par drones et la formation des forces aériennes tchadiennes. Dans le cadre de ce même accord, la Turquie a également obtenu l’accès à la base stratégique de Faya‑Largeau, située dans le nord du Tchad.
En juillet 2025, la société ‘’Baykar’’ a lancé un programme intensif de formation de quatre mois pour les opérateurs tchadiens. Ces formations couvrent non seulement l’utilisation des drones, mais aussi leur maintenance, la navigation aérienne, et la gestion opérationnelle dans les contextes de guerre asymétrique.
Ces drones sont déjà utilisés de manière active dans les zones frontalières, notamment face aux tensions dans la région frontalière avec le Soudan. Cette présence militaire accrue et technologique renforce la capacité du Tchad à sécuriser son territoire et à prévenir les incursions ou les attaques irrégulières.
Une diplomatie proactive et une coopération multisectorielle
La politique étrangère tchadienne actuelle, sous l’impulsion du ministre Abdoulaye-Sabre Fadoul, se caractérise par une diplomatie proactive visant à diversifier les partenaires et à renforcer les coopérations régionales. Les récents échanges avec l’ambassadeur de Turquie à N’Djamena ont abordé des questions variées : intégration régionale, investissements, dialogue interculturel, éducation, sécurité.
Cette stratégie de « coopération gagnant-gagnant » montre que le Tchad ne cherche plus seulement des aides ponctuelles, mais des partenariats durables et mutuellement bénéfiques, qui respectent la souveraineté nationale tout en apportant un savoir-faire concret.
Conclusion : le Tchad et la Turquie, un modèle de partenariat d’avenir
Alors que se déroule le Forum Turquie-Afrique à Istanbul, les liens entre N’Djamena et Ankara ne cessent de s’intensifier. Ce partenariat dépasse le cadre diplomatique pour devenir structurel, stratégique et multidimensionnel.
Le Tchad voit en la Turquie un partenaire capable de l’accompagner dans sa transformation économique, sanitaire, logistique et militaire. De son côté, la Turquie confirme son ancrage africain en s’imposant comme acteur incontournable d’un nouveau multilatéralisme africain.
Si les engagements pris se traduisent en réalisations concrètes, le Tchad pourrait devenir, d’ici 2030, un modèle de réussite en matière de coopération Sud-Sud, alliant souveraineté, innovation et développement durable.