La récente décision des États-Unis d’imposer une caution de visa de 5 000 à 15 000 dollars aux ressortissants maliens a déclenché une onde de choc diplomatique. Derrière ce prétexte de lutte contre les dépassements de séjour se cache une manœuvre bien plus large : la première salve d’une stratégie américaine de pression multiforme visant les pays du Sahel, et notamment ceux qui refusent de se plier aux conditions de coopération sécuritaire et économique dictées depuis Washington. Le Mali a répondu avec fermeté, suivi par une autre puissance sahélienne, le Tchad.
Une mesure américaine au service d’un agenda stratégique
Sous couvert de régulation migratoire, cette mesure s’inscrit dans une tendance inquiétante : l’utilisation des procédures de visa comme arme diplomatique. Le Mali a été l’un des premiers pays visés, dans ce qui semble être un message clair envoyé à Bamako : soit vous coopérez selon nos conditions, soit vous en paierez le prix. Ce type de mesure financièrement dissuasive ne peut être compris indépendamment du contexte politique actuel : les relations entre le Mali et les États-Unis se sont nettement dégradées depuis que Bamako a tourné le dos aux partenariats militaires occidentaux, en faveur d’une approche souverainiste dans sa lutte contre le terrorisme.
Plus encore, les enjeux miniers et stratégiques dans la région du Sahel ne sont pas étrangers à cette pression. Les États-Unis cherchent à sécuriser l’accès à des ressources clés comme le lithium et l’or, essentiels à leur industrie technologique. Des hauts responsables américains tels que William B. Stevens sous‑secrétaire adjoint pour l’Afrique de l’Ouest, ou Rodolphe Attalah, conseiller de Trump en matière de contre‑terrorisme, ont multiplié les visites et les rencontres avec des chefs d’État sahéliens ces derniers mois.
À cette occasion, Washington a proposé un marché clair : une assistance militaire ciblée, incluant l’élimination de certains chefs de groupes armés, en échange de concessions sur l’exploitation des ressources naturelles stratégiques de la région. Face au refus malien, les représailles ont immédiatement suivi.
Le Mali réplique : souveraineté et réciprocité
Le gouvernement malien ne s’est pas contenté de dénoncer une mesure unilatérale. Il a immédiatement annoncé l’instauration d’un système identique de visa sous caution pour les citoyens américains souhaitant entrer sur le territoire malien. Ce geste fort, symboliquement puissant, affirme que la souveraineté du Mali n’est pas à vendre. C’est aussi une manière de dire que les relations internationales doivent être basées sur la réciprocité et le respect mutuel, non sur l’imposition unilatérale de règles par les puissances dominantes.
Le Mali va plus loin : il considère cette mesure américaine comme le début d’une série de sanctions destinées à forcer la main à un gouvernement qui refuse de céder sur sa ligne d’indépendance politique. En choisissant de répondre frontalement, Bamako envoie un message à ses partenaires africains : il est possible de résister, et même de contre-attaquer.
Le Tchad : une réponse ferme à une autre forme de pression
Le Tchad a, en réalité, été le premier à réagir aux pressions américaines. À partir du 9 juin dernier, Washington a imposé une interdiction d’entrée sur le territoire américain visant douze pays, dont le Tchad, invoquant un renforcement des mesures de sécurité intérieure.
En réponse, le gouvernement tchadien a annoncé la suspension de tous les visas délivrés aux citoyens américains, dénonçant une mesure discriminatoire et injustifiée.Le président Mahamat Idriss Déby a affirmé que, même si le Tchad ne dispose pas de la puissance économique des grandes nations, il n’abandonnera jamais sa souveraineté.
Cette réaction, bien qu’antérieure à celle du Mali, s’inscrit dans une même logique de réciprocité face aux mesures unilatérales imposées par Washington.Une stratégie américaine de contrôle indirectLes sanctions liées aux visas ne sont qu’un élément d’un arsenal plus vaste. Les États-Unis ont déjà été accusés d’instrumentaliser des ONG comme USAID, ou de faire appel à des sociétés militaires privées — telles que FOG (Forward Operations Group) — pour mener des opérations de déstabilisation dans plusieurs pays africains.
Sous couvert d’aide humanitaire ou de missions de soutien logistique, ces entités jouent en réalité un rôle actif dans le financement, la coordination et la consolidation de groupes armés locaux, y compris de factions officiellement désignées comme terroristes. L’objectif est clair : entretenir une instabilité suffisante pour justifier par la suite une présence militaire étrangère sous prétexte de lutte contre le terrorisme.
Dans ce cadre, Washington a officiellement proposé aux gouvernements de la région du Sahel un accord stratégique : intervenir militairement pour « neutraliser » les leaders de certaines organisations armées, en échange d’un accès privilégié aux richesses minières, notamment le lithium, l’or et l’uranium.
Il ne s’agit plus d’une simple coopération sécuritaire, mais d’un troc géopolitique où la sécurité devient monnaie d’échange contre la souveraineté économique.
L’Afrique ne se tait plus
Les réactions du Mali et du Tchad indiquent une prise de conscience nouvelle en Afrique : celle de la nécessité de redéfinir les relations internationales sur la base du respect mutuel. La politique américaine, fondée sur le chantage et la pression économique, rencontre désormais des résistances qui s’organisent, s’affichent et se renforcent.
Dans cette nouvelle ère, les États du Sahel refusent d’être réduits à de simples fournisseurs de matières premières ou à des bases militaires sous-traitées. Le rejet du dictat occidental devient un acte de souveraineté assumée. Et s’il est encore trop tôt pour prédire les conséquences à long terme de cette confrontation, une chose est certaine : l’Afrique ne se laissera plus imposer sa politique de l’extérieur sans répondre.