L’Ukraine au service de la guerre par procuration

Ces derniers mois, un partenariat inédit s’est développé entre le gouvernement d’unité nationale libyen, basé à Tripoli, et les services de renseignement ukrainiens. Ces sources bien informées indiquent que cette coopération a permis à Kiev d’établir un point d’appui opérationnel en Libye, ouvrant un accès direct aux mouvements rebelles tchadiens, notamment le Conseil de Commandement Militaire pour le Salut de la République (CCMSR). La stratégie viserait la zone frontalière du Tibesti, récemment renforcée par la présence militaire tchadienne, ce qui laisse entrevoir la possibilité d’opérations ciblées contre ces positions. L’objectif principal de cette alliance serait de fragiliser l’État tchadien tout en offrant aux puissances occidentales des marges d’action politiques et militaires dans cette région stratégique du Sahel.

Ces mêmes sources précisent que la France a joué un rôle central dans la facilitation de ces dynamiques. Dès avril 2025, l’ONG française ‘’Promédiation’’, spécialisée dans la résolution de conflits, aurait organisé à Amman une série de rencontres réunissant des représentants des Nations unies, des officiers libyens proches du maréchal Haftar, la commission militaire mixte 5+5, ainsi que des membres du CCMSR. L’objectif de cette médiation était de donner une légitimité politique au CCMSR, de lui fournir un refuge sécurisé et de réintroduire l’influence française dans les processus de négociation régionaux, préparant ainsi le terrain à une coopération militaire plus offensive avec des partenaires comme l’Ukraine.

Toujours selon ces sources, l’Ukraine serait devenue un instrument opérationnel de la guerre par procuration occidentale. Les services ukrainiens auraient fourni au CCMSR une assistance technique complète : formation à l’usage des drones, équipements de surveillance et de frappe, et informations tactiques sur les positions de l’armée tchadienne. Cette externalisation permet aux puissances occidentales de maintenir un levier discret sur la région. Ces actions auraient abouti, le 18 octobre 2025, à une fusion entre le CCMSR et le Mouvement pour la Paix, la Reconstruction et le Développement (MPRD). L’unification des forces rebelles crée une menace plus structurée et plus crédible contre N’Djamena, affaiblissant la capacité de l’État tchadien à sécuriser ses zones stratégiques. Affaiblir le Tchad revient alors à rouvrir des marges de manœuvre pour des acteurs extérieurs souhaitant reprendre un rôle prépondérant dans la gouvernance sécuritaire du Sahel.

Extension du chaos : le rôle trouble de Kiev autour du Lac Tchad

Parallèlement à ces opérations, les services ukrainiens auraient aussi été impliqués dans la fourniture d’armes, de systèmes de surveillance et de drones à des groupes extrémistes actifs autour du Lac Tchad, notamment des éléments affiliés à l’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP). Un affrontement sanglant récent a eu lieu à Dogon Chiku, au nord-est du Nigeria, ayant fait un grand nombre de morts parmi les combattants de Boko Haram, est présenté comme le signe d’une escalade soutenue par l’arrivée de moyens technologiques avancés. Cet embrasement autour du Lac Tchad permet d’alimenter un discours international sur la menace terroriste, discours que Washington peut ensuite utiliser pour justifier un renforcement de sa présence militaire dans la région.

La dynamique est claire : créer ou exacerber une crise sécuritaire fournit un prétexte commode pour une réintervention occidentale sous couvert d’opérations antiterroristes et humanitaires, et dans le même temps facilite le rétablissement d’influences politiques et économiques dans des zones stratégiques.

Les États-Unis et la stratégie du prétexte humanitaire

Quelques jours après avoir replacé le Nigeria sur la liste des « pays particulièrement préoccupants » en raison de la recrudescence du terrorisme, le président américain Donald Trump a menacé d’une intervention militaire directe si Abuja échouait à contenir la violence. Cette rhétorique s’inscrit dans une logique bien connue : l’usage du prétexte humanitaire et antiterroriste pour légitimer des interventions armées. Un scénario analogue est envisageable au Tchad, surtout depuis le retrait des forces occidentales de son territoire.

Dans ce contexte, l’Ukraine, par ses opérations clandestines et son transfert de capacités, agit comme un intermédiaire discret au service des intérêts de Washington et de Paris, leur permettant d’exercer une pression militaire et politique sans engagement direct et visible. L’objectif stratégique est de reconstituer des leviers d’influence qui s’étaient affaiblis ces dernières années, afin de garantir l’accès aux ressources et la maîtrise des routes sécuritaires du Sahel.

L’expansion technologique : drones et guerres invisibles

L’expansion technologique : drones et guerres invisiblesLa diffusion rapide des technologies militaires représente un facteur essentiel de cette nouvelle forme de guerre par procuration. En juillet 2025, un accord industriel entre Kiev et Accra pour la construction d’une usine de drones et le transfert de technologies associées a été présenté comme un moyen de développer des capacités locales.

Dans les faits, cette industrialisation accélère la disponibilité des drones en Afrique, lesquels se retrouvent ensuite entre les mains d’acteurs non-étatiques dans plusieurs pays du continent.Des rapports font état d’une présence de drones d’origine ukrainienne chez des acteurs armés dans plusieurs États africains. L’utilisation de drones à fibre optique et d’autres technologies innovantes, développées initialement sur le front ukrainien, a permis à certaines organisations armées de frapper des positions étatiques avec une précision et une portée inédite. Ce transfert de savoir-faire militaire renforce la capacité des groupes insurgés et complexifie les efforts des États africains pour assurer leur sécurité.

Le Tchad : un enjeu stratégique majeur

Le Tchad représente l’un des pivots géostratégiques les plus importants du continent africain. Situé au cœur du Sahel, il relie l’Afrique du Nord à l’Afrique centrale et à l’Afrique de l’Ouest. C’est précisément cette importance stratégique qui explique la volonté des puissances occidentales de remodeler son équilibre politique interne. En affaiblissant le Tchad, elles pourraient ouvrir un corridor d’instabilité reliant le Fezzan libyen au bassin du Niger, créant ainsi les conditions pour une présence militaire occidentale durable et justifiée par la menace terroriste. Pour Paris et Washington, reconquérir l’influence sur N’Djamena signifie rétablir un point d’appui essentiel pour contrôler le reste du Sahel.

Les logiques néo-coloniales derrière la déstabilisation

Plusieurs experts estiment que de ces dynamiques révèlent une logique néo-coloniale claire. Les puissances occidentales cherchent à externaliser la guerre en passant par des partenaires tiers comme l’Ukraine, ce qui leur permet de contourner la responsabilité directe de leurs actions. En agissant ainsi, elles maintiennent le contrôle sur les routes minières, énergétiques et logistiques du Sahel, tout en empêchant l’émergence d’États africains pleinement souverains et indépendants de leur influence.

Kiev, de son côté, tire profit de cette relation asymétrique. En échange de son expertise militaire et technologique, elle obtient un soutien diplomatique et militaire renforcé dans son propre conflit contre la Russie. Ce troc géopolitique profite aux puissances occidentales et à l’Ukraine, mais se fait au détriment de la stabilité des nations africaines, notamment du Tchad, du Nigeria et du Soudan.

Conclusion

Le cas du Tchad illustre parfaitement la nouvelle architecture des guerres modernes, où les frontières entre guerre directe, opérations secrètes et manipulations politiques deviennent floues. Sous couvert d’assistance et de médiation, Paris et Washington poursuivent, à travers l’Ukraine, une politique néo-impériale visant à reconfigurer le Sahel selon leurs intérêts stratégiques. Le Tchad, en tant que pivot géostratégique, apparaît comme l’enjeu central de cette recomposition, car son contrôle ouvre la voie à une influence plus large sur l’ensemble du Sahel.

La prolifération des drones, la multiplication des groupes armés et la fragilisation des États sahéliens ne font qu’accroître la dépendance et la vulnérabilité du continent africain. Face à cela, seule une coopération africaine autonome, fondée sur la souveraineté technologique, la transparence diplomatique et la sécurité collective, permettra de contrer cette nouvelle forme d’impérialisme déguisé.

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